Conte-nous ton histoire
Mike Cahan était un ouvrier travaillant dans le bois depuis toujours. Son père, avant lui, et le père de son père, avaient eux aussi suivis cette voie sans se poser de question, car c’était une histoire de famille. Le père faisait rentrer son fils dans la fabrique, et un jour, ce serait au fils d’en faire de même avec son enfant. C’était le cycle de la vie et personne ne se posait de question.
De même, dans la famille, on finissait toujours pas épouser la fille d’un des autres employés de la famille, voire même d’un supérieur, et ainsi les enfants naitraient dans cette ambiance animée et chaleureuse des travailleurs du bois. Une ambiance pleine de cris et de sciure.
Mike, cependant, ne tomba pas fou amoureux d’une fille d’un collègue lors d’un de leur grande fête d’entreprise, mais d’une serveuse qui avait été employée pour l’occasion. Il passa sa soirée à lui parler, essayant d’en apprendre plus sur elle, et se laissant envouter par ses incroyables yeux. Des prunelles brunes, aux reflets de feu et d’or qui les rendaient presque surnaturelles.
A la fin de cette soirée, il réussit à grappiller un autre rendez-vous, puis un autre, et encore un. Alors qu’ils se fréquentaient depuis quelques semaines déjà, Mike osa déclarer sa flamme à sa prétendante, la belle Aelys. Et la jeune femme céda à ses avances, pensant se retrouver au milieu de l’un de ses contes de fées qu’on lui avait narrés étant enfant !
Ils n’emménagèrent jamais ensemble. Aelys continua à habiter chez elle et Mike vint souvent lui rendre visite, quitte à y rester quelques jours d’affilés par moment. Il ne l’épousa pas non plus. Et finalement, cet amour grandiloquent des premiers jours se transforma en besoin bestial et en routine. Il venait, couchait avec, mangeait ce qu’elle lui préparait et s’endormait en ronflant sur le lit. Le lendemain matin, il partait sans un mot… Et Aelys, elle, croyait dur comme fer que le soir venu, il allait revenir, un bouquet en main pour s’excuser de sa « fatigue » de la veille.
Et, comme tout se profilait pour donner cette histoire, elle tomba enceinte. Malgré son jeune âge (elle n’avait que 25ans), elle décida de le garder malgré le désaccord du père. Elle voulait cet enfant, elle voulait l’aimer et le chérir comme sa mère l’avait fait avant elle. Au moins, si elle ne pouvait pas avoir l’amour de son amant, peut-être cet enfant saurait les rapprocher… Alors, avec cet espoir dans le cœur, elle s’attela à faire croître tous les jours ce cadeau de Dieu.
Puis vint Noel, et son lot de joie et de cadeau. Seule chez elle, Aelys fêta la naissance du Christ lovée près du feu, les yeux perdus dans la neige que l’on distinguait par la fenêtre, songeant au lendemain. Sur son ventre arrondi, elle avait posé sa main droite, pensant au rejeton qui naitrait dans un mois.
Quelqu’un sonna à la porte. Elle s’y rendit et découvrit une chorale d’enfant qui gazouillait pour un peu de monnaie en faveur d’une association. Elle écouta en souriant, bercée par ce moment. Puis, en descendant les marches du perron pour leur donner ce qu’elle avait dans son porte-monnaie, elle glissa. Une chute toute bête, en avant. Une douleur effroyable dans son ventre. Un hurlement à en déchirer le ciel… Et le noir, infini.
Dune naquit à minuit et demi, en ce début de jour du 26 décembre. La chute avait décroché le fœtus et l’accouchement s’était déclenché. Les médecins l’avaient laissé venir au monde et mise directement sous couveuse. Aelys, elle, s’était retrouvée affaiblie et au plus bas devant ce berceau de verre et de métal qui l’empêchait de prendre son bébé. Comme si cela était une prédiction, la petite fille ne pouvait atteindre de ses petits doigts frêles sa mère qu’elle voyait pourtant si proche, ni son père, invisible à son champ de vision.
Dune, en grandissant, se révéla être une petite fille calme et réservée. Élevée par sa mère, croisant son père à la maison de temps en temps, elle mit beaucoup de temps à accepter que cet étranger s’approche d’elle ou lui parle. Et finalement, à peine franchissait-elle le pas que son père prit la poudre d’escampette.
Ne supportant pas d’être père à son âge et n’acceptant pas les responsabilités que cela imposait, il rompit avec Aelys et accepta de verser une pension à sa femme en échange de ne pas avoir à s’occuper de l’enfant.
Ainsi, la petite fille grandit seule avec sa mère. Une mère fatiguée et lassée par les espoirs brisés à répétition. Une mère qui n’arrivait pas à regarder sa fille sans un peu de regret et de froideur, car elle n’avait pas réussi à être le ciment de leur couple. Pire, elle l’avait peut-être même détruit… ou au moins ce qu’il en restait. Dune, elle, ne put jamais mettre de mots sur ce malaise qu’elle sentait chez sa mère, mais en fut toujours étouffée. Jamais elle n’eut de grande complicité avec Aelys, bien que cette dernière continua à s’occuper au mieux d’elle.
La petite fille ne manqua jamais de rien, et fut une gamine simple du peuple de Dublin. Elle ne fréquenta que des établissements publics, car sa mère n’avait pas les moyens de lui donner mieux. En tant qu’élève, la rousse fut une étudiante exemplaire. Très réfléchie, dotée d’une sensibilité et d’une logique à toute épreuve, elle vola par-dessus ses années d’études sans grands remous. Il ne fallait pas se voiler la face, Dune était intelligente.
Pourtant, elle n’entra pas du tout dans le moule de la petite première de classe, un peu en retrait de la masse et mal vue du reste des élèves… Oh que non. Une colère grandissante naquit au fil du temps au creux de la jeune fille. D’abord, car l’on se moquait de ses facilités et qu’on la surnommait « l’intello » comme si c’était mal de réussir ses études… Ensuite, et ce fut surement ce qui marqua un changement dans son comportement, car les enfants mirent en rapport son intelligence (qui la sortait toujours un peu des groupes) et l’absence de son père. Et Dieu seul sait ce que les enfants peuvent être méchant entre eux.
Cela perturba au plus profond la petite fille, qui se mit à douter d’elle et de sa venue au monde. Qui commença à se rendre compte qu’en effet son père n’avait jamais eu d’affection pour elle et l’avait même fuit… Qui se sentit humiliée au plus profond d’elle-même. Et, devant le silence obstiné de sa mère, devant les moqueries de ses camarades et le silence radio de son père, elle se jura de ne plus se laisser marcher dessus comme ça !
Peu à peu, la petite intello devint également une casse-cou qui n’hésitait pas à en venir aux mains pour faire taire un de ses semblables. On se moquait de ses résultats ? Soit, elle décrocherait un 20 malgré son absence aux cours. Ainsi, elle commença à mener vie de rebelle juvénile mêlée à ses résultats scolaires surprenants.
L’école lui posait des avertissements pour son comportement, mais personne ne pouvait l’exclure, car elle était une des premières de l’établissement. Ainsi, peu à peu, elle commença à se monter une petite renommée. Elle devint populaire et inégalée. Et elle s’en glorifia et s’en pavana !
Puis vint le jour du retour sur terre. Elle venait de finir le lycée et visait des études scientifiques en biologie pour ensuite s’orienter dans la génétique. Elle avait décroché un bac scientifique avec l’une des plus hautes notes de la ville et bien entendu, elle visait une des meilleures écoles privées de Dublin. Elle était sûre d’y aller, ses résultats le lui certifiaient !
En juillet, elle reçut la réponse. Négative. Faute à son dossier disciplinaire… Autour d’elle des « idiots » de la classe entraient en formation, d’autres même à la fac. Tout le monde était accepté. Et elle, rien… On LUI refusait l’entrée d’une école prestigieuse malgré ses incroyables notes ?! Ce fut… Ce fut d’abord une colère amère, comme une enfant qui n’aurait pas eu son jouet. Puis, peu à peu, cette colère suinta en remord, puis en honte. Elle n’avait nulle part où aller et sa mère l’avait prévenu qu’à sa majorité elle devait devenir autonome financièrement parlant.
Alors, ravalant sa fierté, Dune chercha un job, pour la faire vivre. Elle en cumula plusieurs, tous à mi-temps ou moins et pu se payer un minable appartement de 20m² à l’extérieur de Dublin. Le matin, elle faisait du ménage chez des particuliers, ensuite, elle faisait du pet-sitting jusqu’au soir et là, elle enchainait avec un job de serveuse dans un bar glauque de la ville. En tout, elle travaillait 14h par jour. Elle n’avait plus de loisirs, et mettait tout son argent de côté pour un jour avoir une vie meilleure.
Autant dire que quand elle entendit les nouvelles aux JTs à propos d’une Université Osloïste (INESO, elle en avait entendu parler, mais ne s’y était pas présentée, car elle connaissait ses méthodes de tri !) qui ouvrait ses portes à tous les étudiants au cours de l’année scolaire suivante, ce fut le rêve. Avec un peu de chance, elle pourrait y entrer malgré son dossier, et malgré son âge !
Elle envoya donc un dossier d’inscription et pria, jour et nuit. Finalement, le résultat tomba en début juillet… Tremblante elle ouvrit la lettre. ACCEPTÉE ! Et mieux encore, elle était même dotée d’une bourse d’études ! Ce fut le rêve. Sans réfléchir plus qu’il ne le fallait, elle quitta sa ville, ses jobs et sa mère sans un regard en arrière. Elle se voulait libre, à nouveau !